Années de rêves et de plomb. Des grèves à la lutte armée en Italie (1968-1980)
Alessandro Stella
Marseille, Editions Agone, Mémoires sociales, 2016, 144 p.
« Il n’y avait pourtant pas que le politique dans notre vie. “Le personnel est politique”, comme les camarades féministes nous l’avaient fait comprendre, bon an mal an. En fait, alors que nous plongions la tête la première dans la dernière tentative de révolution communiste en Europe, c’est dans la sphère des relations interpersonnelles que nous étions en train de faire une révolution… Mais nous n’en avions pas vraiment conscience, pris comme nous l’étions dans des schémas anciens. Nous avions alors 20 ans, quelques-uns plus, d’autres moins. Et nous avions un désir débordant de mordre la vie, de plonger de tout notre corps dans une aventure enivrante, de profiter au maximum de tout ce que la vie pouvait nous offrir, ici, tout de suite, sans attendre ni le paradis céleste, ni le grand soir. “Qu’est-ce que vous voulez ?”, nous demandait-on. On répondait : “Nous voulons tout !” »
En 1979, après la mort accidentelle de trois activistes du groupe Autonomie ouvrière, dans la région de Vicence (Italie du nord), un grand coup de filet policier s’abat sur ses membres. Cette répression leur sera aussi fatale que les divisions internes qui émergent alors, dans les différents groupes armés, entre « repentis » et puristes.
Comment en est-on arrivés là ? Revenant sur la longue tradition de contestation ouvrière de Vicence, les mouvements amorcés en 1968 et l’influence du Chili de Pinochet sur la militarisation des groupes socialistes, ce livre insiste sur la continuité des luttes entre les années 1960 et les années 1970 : « Il n’y a pas une bonne et une mauvaise jeunesse, c’est la même, à des moments et dans des circonstances différentes. »
Des rapports entretenus avec les Brigades rouges aux moyens d’action concrets – « autoréductions », sabotage de machines, création de comités ouvriers et étudiants ou blocage d’usines –, des limites de la lutte armée au rôle des intellectuels dans le militantisme, cet hommage à des camarades revendique la légitimité de se souvenir et la nécessité de perpétuer un combat pour un monde plus juste.
Né en Italie en 1956, Alessandro Stella a été membre de Potere Operario puis d’Autonomie ouvrière. Réfugié en France au début des années 1980, il est aujourd’hui directeur de recherche en anthropologie historique au CNRS et enseignant à l’EHESS de Paris. Il est notamment l’auteur de La Révolte des Ciompi (1993) ; Histoires d’esclaves dans la péninsule ibérique (2000) ; Amours et désamours à Cadix aux XVIIe et XVIIIe siècles (2008), Le Prêtre et le Sexe. Les révélations des procès de l’Inquisition (2009).