De paroles et de gestes
Constructions marranes en terre d’Inquisition
Natalia Muchnik
Paris, Editions de l’EHESS, En temps & lieux, , 288 p.
L’auteur montre que, face à la stigmatisation, les crypto-judaïsants ont développé une identité de groupe : l’individu prend sens dans une unité sociale soudée par une mémoire et des pratiques partagées. Si la répression inquisitoriale et la clandestinité sont fondamentales pour sa cohésion, la société marrane a ses propres dynamiques. Fragilisée par sa diversité interne, sa mobilité spatiale et la labilité de ses pratiques religieuses, elle a multiplié signes d’appartenance et discours identitaires. Les codes qui caractérisent cette société secrète, l’hostilité au catholicisme ou les mythes de l’origine, sont autant de signes que le crypto-judaïsant mobilise et adapte. Car plus que les rituels, c’est le processus de ritualisation extrême du quotidien qui forge la société marrane ; le sacré semble partout. L’ouvrage, tel un kaléidoscope, multiplie les points de vue sur les modes d’identification. Le marrane dispose ainsi de plusieurs identités potentielles qu’il alterne selon les situations et les interlocuteurs. Plutôt que d’un déchirement entre deux religions, ne témoigne-t-il pas de la fragmentation de soi et de l’impossibilité de dissocier l’individu des rôles qu’il tient ? Il témoigne en somme d’une pluralité inhérente à tout être humain et du caractère illusoire d’une identité homogène.