Ressources et empires. La construction sociale des écosystèmes impériaux
Date limite de dépôt : 15 septembre 2024
Appel à communication
Argumentaire
La conquête de l’Amérique par les Espagnols est habituellement considérée comme le début de bouleversements démographiques, économiques et écologiques à l’échelle planétaire. Qu’il s’agisse de l’hécatombe démographique provoquée par la combinaison létale entre exploitation de la main d’œuvre et choc microbien, ou de la destruction des écosystèmes préhispaniques sur l’autel de l’extractivisme colonial, un fil conducteur relie les analyses les plus classiques : l’articulation entre conquête, extractivisme et destruction des milieux et des humains. Ainsi, « l’impérialisme écologique » cher à Alfred Crosby, tout comme l’approche plus localisée d’Elinor Melville, décrivaient la destruction des plantes indigènes par le bétail et la fin d’une agriculture intensive irriguée au profit d’un pastoralisme extensif, sur des terres désertifiées, et d’un paysage par conséquent entièrement « centré sur l’animal ». En allant plus loin, Simon Lewis et Mark Maslin ont pu avancer que la disparition des milliers d’hectares autrefois cultivés par les populations amérindiennes et rendus à la forêt expliqueraient le « petit âge glaciaire » dès la fin du xvie siècle. Ces approches et les débats qu’elles ont suscités, laissent de nombreuses questions en suspens. Que doit-on comprendre au juste par « impérialisme écologique » ? La notion de catastrophe écologique (« a plague of sheep ») est-elle pertinente quel que soit le contexte et le moment ? Les notions de résilience, d’appropriation, de négociation, ont-elles une place dans la compréhension des transformations écologiques provoquées par les invasions européennes ? Jusqu’à quel point une notion comme celle d’« extractivisme » est-elle appropriée pour des réalités pré-industrielles ? La prédation des sociétés humaines sur leur environnement a-t-elle commencé avec l’industrialisation ? Est-elle consubstantielle au colonialisme ? Existe-t-elle dans les sociétés préhispaniques ? Est-elle uniquement liée à l’extractivisme ?
Ce colloque se propose de remettre sur l’établi les grands modèles nés dans les 1980 grâce à la mise en travail de trois domaines et de trois historiographies qui ont peu dialogué jusqu’à présent : l’histoire de l’empire espagnol, l’histoire environnementale et l’histoire sociale. L’objectif est de réintroduire les méthodes de l’histoire sociale afin de reconsidérer les grands récits et les grands concepts, les approches macroscopiques, à l’aune d’analyses fondées sur les acteurs et sur la variété des contextes spécifiques. Ce dialogue peut s’avérer d’autant plus fertile que l’histoire environnementale concernent pour l’essentiel les xixe et xxe siècles. L’Amérique préindustrielle y apparaît ainsi largement comme une terra incognita. Ce colloque, nous l’espérons, sera l’occasion de décloisonner les questionnaires et de réinterroger l’histoire impériale à la lumière des grandes problématiques traitées postérieurement par l’histoire environnementale. Quatre thématiques d’analyses sont privilégiées et sont susceptibles d’accueillir des communications qui auront à cœur de replacer les approches impériale et environnementale à l’échelle des cycles de vie des acteurs.
1. Ressources naturelles et ressources démographiques. Cette thématique se propose d’explorer les liens entre histoire environnementale et histoire du travail, en interrogeant les rythmes et les modalités de la transformation du milieu à partir des dynamiques de coercition et de discipline notamment pour ce qui est de la disponibilité et de la captation de la main d’œuvre dans un contexte démographique catastrophique et dans une situation coloniale, tout comme pour ce qui est de la régulation politique, urbaine et corporative de l’exploitation des ressources.
2. Ordre social et transformations écologiques. Cette thématique explore les rapports sociaux qui sous-tendent toute transformation écologique, de l’exercice du pouvoir aux luttes pour le pouvoir en matière d’usages des ressources que ce soit pour réévaluer, par exemple, l’ « agency » des communautés indiennes face aux autorités coloniales ou de relire les archives produites par les politiques de questionnaire de la monarchie espagnole (visitas, relaciones, etc…) dans son organisation territoriale sur le continent américain (congregaciones, créations de villes nouvelles, déplacements de centres urbains…).
3. Pénurie, mise sur le marché et gestion des ressources. Cette thématique interroge le préjugé circulatoire qui pèse sur les ressources impériales et entend examiner la tension entre économie de subsistance et économie marchande, les formes d’exploitation et de marchandisation (commodification) des ressources, et la fabrication de leur valeur locale et commerciale, à la lumière des contraintes biologiques ou matérielles (pénuries locales, difficulté du transport et de conservation), de leur viabilité économique dans une situation où les marchés sont segmentés et spatialisés différemment selon chaque ressource et où les possibilités et les incapacités d’exploitation d’une ressource diffèrent beaucoup d’un cas à l’autre.
4. Constructions locales du paysage. Comment les rapports sociaux entre les acteurs, décelables uniquement à l’échelle locale, permettent-ils de comprendre la configuration spécifique des ressources, des campagnes et des pratiques de production ? Peut-on expliquer uniquement par le relief les formes du paysage morcelées des exploitations des hautes vallées d’Antioquia en Nouvelle Grenade, celles des grandes estancias du Chili central ou du no man’s land rioplatense ? Quelles sont les rapports qui s’établissent entre milieux, savoir-faire, démographie et évolution des paysages ?
Appel à communication en français, espagnol, anglais
Calendrier et modalités de soumission
Nous recevons toute proposition concernant XVI-XVIIIe siècles sur tous les espaces américains et toutes les dominations coloniales, présentée en 5.000 caractères maximum, avant le 15 septembre 2024, à l’une des adresses suivantes : jeronimo.bermudez@ehess.fr, antoine.duranton@ehess.fr, antoine.roullet@ehess.fr ou jean-paul.zuniga@ehess.fr.
Le colloque se tiendra en février 2025.