Interactions et dynamiques sociales des structures corporatistes dans la monarchie hispanique à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle)

Samedi 17 juin 2023 de 8h45 à 17h

Journée d’étude (Sorbonne Université, CLEA)

 

 

 

L’enjeu de cette journée d’étude intitulée « Interactions et dynamiques sociales des structures corporatistes dans la Monarchie Hispanique à l’époque moderne (XVIe-XVIIe siècles) » serait de s’intéresser à la constitution du tissu social de différentes structures corporatistes en plusieurs points des possessions des Habsbourg à l’époque moderne et aux multiples façons qu’elles ont d’interagir entre elles et avec les autres acteurs urbains.

Le terme de corporation est défini par Guillaume Garner de la façon suivante : « La corporation désigne une association, constituée en vertu de privilèges octroyés par l’autorité publique, regroupant des artisans ou des marchands qui défendent leurs intérêts collectifs. Pendant le Moyen Âge et l’époque moderne, d’autres types d’associations lui sont proches : guildes marchandes, compagnonnages, confréries[1] ». Avant les révolutions et l’avènement de l’individu, les sociétés médiévale et moderne se fondent sur la prévalence de la communauté face à l’individualité, quel que soit le type de groupe (la famille, la paroisse, la confrérie, la corporation…). La sphère professionnelle n’échappe pas à cette logique et l’organisation des individus en un corps social et économique (depuis les corporations de métiers jusqu’aux confréries dévotionnelles et aux universités, en passant par les consulats et autres structures marchandes) est un élément incontournable dans l’étude des relations et des interactions existantes entre les individus à ces périodes historiques. Ainsi, ces époques-là constituent-elles un âge d’or des structures corporatistes et de leur développement dans la société. Lors de cette journée d’étude, nous souhaiterions nous intéresser aux corporations au sens large (c’est-à-dire en étendant ce terme à des groupes qui ne sont pas seulement issus des milieux marchands et artisans), en réalité aux structures corporatistes dans la ville, qui correspondent à « [des] corps légalement constitué[s] avec des droits et des privilèges ; [des] communauté[s], c’est-à-dire [des] entité[s] professionnelle[s] qui [ont leur] place dans l’économie et la société urbaines[2] ». La pluralité des formes corporatives constituera pour nous un des aspects essentiels de cette réunion, afin de rendre compte de la diversité sociale et de la multiplicité des interactions entre les différents groupes.

De nombreux historiens et historiennes se sont penchés sur le fonctionnement interne des corporations de métier en étudiant précisément les règlements administrant l’organisation de ces corporations et structurant les conditions de production des denrées et objets issus de l’exercice du métier en question[3]. Mais au-delà de la considération économique de la corporation comme véritable corps producteur, il serait intéressant de se pencher sur le versant social des structures corporatistes à l’époque moderne afin de sonder l’évolution d’un phénomène structurel dans les sociétés d’Ancien Régime, car il faut rappeler que la corporation est un objet social dans la mesure où elle se fonde à partir d’un groupe initialement réuni par une pratique professionnelle spécifique et commune.

À la fin des années 1980, l’historienne Simona Cerutti soulignait déjà le travers de l’analyse de la corporation « uniquement à partir des caractéristiques du métier[4] » et menait une étude sociale de la constitution de la corporation des tailleurs dans la ville de Turin. Dans le sillon de son étude, nous souhaiterions proposer ici quelque chose de semblable étendu à diverses professions et corps de métiers, et ce en plusieurs points de l’espace monarchique hispanique.
Ainsi, c’est cette portée sociale qui nous intéressera ici : comment est constitué le tissu social d’une structure corporatiste ? La corporation est souvent perçue d’un point de vue extérieur comme un corps social homogène mais l’est-elle réellement ?
Il s’agira également d’interroger le rapport entre la structure corporatiste et son milieu : dans quelles situations la corporation interagit-elle avec d’autres groupes ? De quelles natures sont ces échanges ? Quelles formes prennent-ils ?

Enfin, comme tout corps social, la corporation se donne à voir dans la société. Quels sont les éléments qui favorisent une visibilité de la structure corporatiste dans la société et qui renforcent le sentiment d’appartenance au groupe ? À travers quels rites, quelles cérémonies, quelles fêtes le groupe professionnel se construit-il d’un point de vue social ?

Pour cette journée d’étude, nous proposons trois axes thématiques :

Axe 1 : Composition et constitution du tissu social corporatif 

Dans cette partie, il s’agirait d’interroger les notions de hiérarchie et d’égalité au sein du groupe corporatif, notamment dans le cadre de métiers souvent moins perçus comme des corporations mais dont l’exercice de la profession reste encadré par des règles (Steven Kaplan parle de « corporatisme sans corporation[5] »), par exemple le notariat ou les fonctions universitaires dont l’accès est régi par des règlements précis (pour le cas du notariat castillan par les Ordenanzas de la ville, textes juridiques qui régissent les conditions d’accès à l’office, le nombre de notaire, l’emplacement des offices notariaux dans la ville mais également les privilèges dont jouissent les notaires publiques) et dans lesquels l’intégration de l’individu se fait selon des prérequis stricts. Nous nous intéresserons à la composition sociale de la structure corporatiste : qui sont les individus qui la composent ? Comment s’associent-ils ? Quels sont les rapports de force qui existent au sein de la corporation ? Comment s’organise l’équilibre entre « la théorie de l’égalité » et « une pratique de la hiérarchisation et de la discrimination[6] » ? Quels sont les cas d’union, de semblant d’égalité et à l’occasion de quels événements surviennent-ils (phénomène d’entraide en cas de maladie, de veuvage, de décès) ?

Axe 2 : Quand la corporation fait corps

La structure corporatiste est en perpétuelle interaction avec le reste de la société. Il serait intéressant de se pencher sur les différents types d’interactions pouvant exister dans le cadre urbain (interactions ; corporation/corporation ;corporation/couronne ;corporation/ville ;corporation/clientèle) et qui souligneraient les conflits d’intérêts ou les solidarités se développant avec des groupes externes à la corporation. En somme, il s’agirait de considérer la structure corporatiste en tant qu’acteur socio-économique dans la cité.

Axe 3 : Représentations sociales et symbolique de la structure corporatiste : quand la corporation se donne à voir 

Ce troisième axe permettrait de se pencher sur les représentations de l’identité sociale corporative à travers l’étude, par exemple, des rites, des fêtes ou des processions propres à une structure corporatiste. Il s’agirait également de considérer d’une part, l’image transmise au reste la société par le biais de ces cérémonies, et d’autre part, le processus d’intégration de l’individu au groupe à travers ces différents événements. La représentation sociale de la structure corporatiste peut également s’observer à travers les liens établis avec des institutions caritatives comme les hôpitaux, les hospices ou les fondations dont les dotations ou les donations révèlent une projection sociale particulière de la communauté de métier. Enfin, il pourra être question dans cette session de la superposition de l’appartenance professionnelle et de l’appartenance religieuse, de la double appartenance à la corporation et à la confrérie dévotionnelle.

Nous serons donc intéressés par des études portant sur un large panel de structures corporatistes (les corporations de métiers (au sens large, métiers de l’artisanat et du monde marchand), des professions organisées par des règlements moins explicites mais qui suivent une organisation régie par des règles comme le notariat par exemple), les consulats marchands (on pourra aussi étudier les interactions entre les individus étrangers et locaux exerçant une même activité), les universités) entre le XVIe et le XVIIe siècle.

Programme

8h45 Accueil des participants et participantes

9 h 00 Introduction

9 h 30 Session 1 – Composition et constitution du tissu social corporatif : hiérarchie, égalité et inégalités au sein de la corporation

Béatrice Perez (Sorbonne Université)

  • Modératrice : Victoria Villalba
  • 9h30 Raquel Ferrón Martínez (Sorbonne Université) – La presencia femenina en las ordenanzas de oficios en Sevilla (siglos XVI-XVII)
  • 10 h 00 Francisco Hidalgo Fernández (Universidad de Málaga) – ¿Una desigualdad limitada? Las relaciones de dependencia entre los artesanos plateros malagueños del siglo XVII
  • 10h30 Discussion

11h00 Pause

11h20 Session 2 – Quand la corporation fait corps : conflits, contrôle et réglementations

Modérateur : Sylvain André

  • 11h20 Susana Truchuelo García (Universidad de Cantabria/EHESS) – Comunidad urbana y pluralidad intracorporativa en el País Vasco (siglos XVI-XVII)
  • 11h50 JeanPaul Zúñiga (CRH-EHESS) – Monopole privé ou contrôle public ? Les corporations de métier aux Indes de Castille, XVIIe-XVIIIe siècle
  • 12h20 Discussion

13h00 Pause déjeuner

  • 14h30 Ofelia Rey Castelao (Universidad de Santiago de Compostela) – Una batalla perdida: los gremios y el control del trabajo de las mujeres en la Edad Moderna
  • 15h00 Discussion

15h30 Pause

16h00 Session 3 – Quand la corporation se donne à voir : représentations sociales et symboliques de la structure corporatiste

Modératrice : Béatrice Perez

  • 16h00 Victoria Villalba (Sorbonne Université) – La dévotion au service du négoce ou le négoce au service de la dévotion ? Le Consulado de mercaderes de Séville et son lien avec la confrérie Nuestra Señora de la Consolación y Doce Apóstoles (XVIe siècle)
  • 16h30 Jaime García Bernal (Universidad de Sevilla) – Cofradías gremiales de Sevilla. Las cofradías gremiales de la parroquia del Salvador de Sevilla (siglos XV–XVII)
  • 17h00 Discussion

Organisation

  • Béatrice Perez (Sorbonne Université, CLEA)
  • Victoria Villalba (Sorbonne Université, CLEA)

 

Bibliographie sélective

  • CERUTTI, Simona, « Du corps au métier : la corporation des tailleurs à Turin entre XVIIe et XVIIIe siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 43e Année, n°2, 1988, p. 323-352. ––, La ville et les métiers : naissance d’un langage corporatif (Turin, 17e-18e siècles), Paris, Écoles des Hautes Études en Sciences Sociales, 1990.
  • CLAUSTRE, Julie, « La prééminence du notaire (Paris, XIVe et XVe siècle) », dans Jean-Philippe Genet et Ennio Igor Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, Paris, Éditions de la Sorbonne, p. 75-91.
  • COLLANTES DE TERÁN SÁNCHEZ, Antonio, « La formación de los gremios sevillanos. A propósito de unos documentos sobre los tejedores », En la España medieval, n°1, 1980, p. 89-104.
  • GARRIOCH, David, « Confréries de métier et corporations à Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°65, 2018, p. 95.
  • GARCÍA BERNAL, José Jaime, « El consulado y los gremios mercantiles de Sevilla en las fiestas por el triunfo de Lepanto (enero-febrero de 1572) », Studia historica. Historia moderna, vol. 42, n°2, 2020, p. 167-193.
  • IMÍZCOZ BEUNZA, José María, « Redes, grupos, clases. Una perspectiva desde el análisis relacional », dans Sebastián Molina Puche et Antonio Irigoyen López, Territorios distantes, comportamientos similares: familias, redes y reproducción social en la Monarquía Hispánica (siglos XIV-XIX), Murcia, Universidad de Murcia, 2009, p. 45-88.
  • KIKUCHI, Catherine, « Peut-on parler de communauté de métier en l’absence de corporation », Questes, n°32, 2016, p. 139-156.
  • LANARO, Paola, « Corporations et confréries : les étrangers et le marché du travail à Venise (XVe-XVIIIe siècles) », Histoire urbaine, n°21, 2008, p. 31-48.
  • MIGUEL BERNAL, Antonio, « Las corporaciones mercantiles de Sevilla. Del consulado (1543) a la cámara de comercio (1885) », Anuario de Estudios Atlánticos, n°59, 2013, p. 253-288.
  • ROJAS GARCÍA, Reyes, « Aprendiendo el oficio. Los escribanos de Sevilla a comienzos de la modernidad », dans Alicia Marchant Rivera et Lorena Barco Cebrián, “Dicebamus hesterna die…”. Estudios en homenaje a los Profesores Pedro J. Arroyal Espigares y María Teresa Martín Palma, Málaga, Universidad de Málaga, 2016, p. 445-479.
  • VAS MINGO, Marta del, « Los consulados en el tráfico indiano », dans José Andrés-Gallego, Tres grandes cuestiones de la historia de Iberoamérica : ensayos y monografía, Madrid, Fundación Tavera, 2005.
Lieu
  • Salle des Actes – 17 rue de la Sorbonne
    Paris, France (75)

Notes

[1] Claude Gavard ; Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire de l’historien, Paris, PUF, 2015.

[2] David Garrioch, « Confréries de métier et corporations à Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°65, 2018, p. 95.

[3] L’une des publications les plus récentes sur cette question est la suivante : Philippe Bernardi, Corine Maitte, François Rivière (dir.), Dans les règles du métier. Les acteurs des normes professionnelles au Moyen Age et à l’époque moderne, Palerme, New Digital Frontiers, 2020.

[4] Simona Cerutti, « Du corps au métier : la corporation des tailleurs à Turin entre XVIIe et XVIIIe siècle », Annales.

Histoire, Sciences Sociales, 43e Année, n°2, 1988, p. 323.

[5] David Garrioch, art. cit., p. 97 : il cite un propos de Steven Kaplan.

[6] Steven L. Kaplan, « Idéologie, conflits et pratiques politiques dans les corporations parisiennes au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°49, 2002, p. 8.